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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/227

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MARQUIS DE SADE — 1781
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gieuse de Cavaillon, qui n’en demandera pas davantage, car l’on doit gratter les gens où il leur est le plus agréable de l’être.

Rousset est partie avec un quidam qui s’est offert à l’accompagner et qui se montre ensuite plein d’incivilité et d’insouciance ; les filles passent quelquefois l’une, mais jamais les deux ensemble et le quidam se fait sabouler en public. La demoiselle descend chez le curé de la Coste, mais l’odeur des vers à soie rend la cure inhabitable. La marquise regrette vivement sa bien bonne amie dont le crédit est déjà remonté. Son départ a porté malheur à madame : elle a des vapeurs, des fluxions sur les yeux et sur les joues, mais cela ne la fait point maigrir. Madame de Sade a perdu sa tante Dazy, qui lui avait fait don, par son contrat de mariage, de vingt-cinq mille livres à prendre sur sa future succession ; la somme, par malheur, sera longue à toucher !

Le marquis, qui s’est refusé jusqu’alors à donner des pouvoirs à sa femme, y consentirait désormais, mais à la condition qu’elle consacrât l’argent de la tante Dazy à libérer la terre de la Coste ! Pour la première fois la marquise oppose quelque résistance aux désirs de son mari. Elle veut qu’on garde le secret sur cet héritage, car sa mère serait hors de sens si elle savait qu’on songe à l’employer à payer les créanciers de son gendre et les créanciers ne le seraient pas moins s’ils apprenaient qu’il doit l’être à autre chose. D’ailleurs le captif s’aigrit chaque jour : il accuse sa femme de l’avoir fait arrêter et exige qu’elle vienne se justifier. M. le Noir ne veut pas l’y autoriser avant d’avoir entretenu le marquis et ne trouve jamais le temps de le faire. M. de Sade dépense trop et abuse du seul plaisir qui lui reste : celui de gourmandise. Un seul mémoire se monte à sept cent livres et comprend vingt-cinq pintes de lait.

La marquise écrit maintenant deux fois pour une et les nouvelles de Paris ne feront pas défaut à mademoiselle de Rousset. C’est l’infortuné avocat qui va faire, en partie, les frais de la correspondance des deux femmes. Madame de Sade a été tirée de son naturel par la malignité de son amie et tout ce que fait ou pense le régisseur est désormais l’objet d’un rapport. Si on le paie d’un mot aimable, c’est pour mieux lui cacher les petites traîtrises qu’on lui fait. On ménage sa jalousie en la dupant et on joue au plus fin avec lui, mais le compère est en défiance et démêle fort bien la fusée. Il conçoit contre la Rousset, qui se dit son amie, une haine furieuse et voilée, haine de dévot qui ne pardonnera pas, même devant la mort. Cette fille a désormais droit