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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/160

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& rien de tout cela n’aſſigne un mérite réel à la vertu. Il eſt telle vertu d’ailleurs, impoſſible à de certains hommes ; or, comment me perſuaderez-vous qu’une vertu qui combat ou qui contrarie les paſſions, puiſſe ſe trouver dans la Nature ? Et ſi elle n’y eſt pas, comment peut-elle être bonne ? Aſſurément ce ſeront chez les hommes dont il s’agit, les vices oppoſés à ces vertus, qui deviendront préférables, puiſque ce ſeront les ſeuls modes ;… les ſeules manières d’être qui s’arrangeront le mieux à leur phyſique ou à leurs organes ; il y aura donc dans cette hypothèſe des vices très-utiles : or, comment la vertu le ſera-t-elle, ſi vous me démontrez que ſes contraires puiſſent l’être ? On vous dit à cela, la vertu eſt utile aux autres, & en ce ſens, elle eſt bonne ; car s’il eſt reçu de ne faire que ce qui eſt bon aux autres, à mon tour je ne recevrai que du bien. Ce raiſonnement n’eſt qu’un ſophiſme ; pour le peu de bien que je reçois des autres, en raiſon de ce qu’ils pratiquent la vertu, par l’obligation de la pratiquer à mon tour, je fais un million de ſacrifices qui ne me dédommagent nullement. Recevant moins que je ne donne, je fais donc un mauvais marché, j’éprouve beaucoup plus de mal des privations que j’endure pour être vertueux, que je ne reçois de bien de ceux qui le ſont ; l’arrangement n’étant point égal, je ne dois donc pas m’y ſoumettre, & ſûr, étant vertueux, de ne pas faire aux

autres