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Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/232

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elles n’en ſavent jamais. Que deviennent donc ces malheureuſes ? Voilà ce qui nous tourmente, Théreſe, voilà la fatale incertitude qui fait le malheur de nos jours. Il y a dix-huit ans que je ſuis dans cette maiſon, voilà plus de deux cens filles que j’en vois ſortir… Où ſont-elles ? Pourquoi toutes ayant juré de nous ſervir, aucune n’a-t-elle tenu parole.

Rien au ſurplus ne légitime notre retraite ; l’âge, le changement des traits, rien n’y fait ; le caprice eſt leur ſeule regle. Ils réformeront aujourd’hui celle qu’ils ont le plus careſſée hier ; & ils garderont dix ans celles dont ils ſont le plus raſſaſiés : telle eſt l’hiſtoire de la Doyenne de cette ſalle ; il y a douze ans qu’elle eſt dans la maiſon, on l’y fête encore, & j’ai vu pour la conſerver, réformer des enfans de quinze dont la beauté eût rendu les Graces jalouſes. Celle qui partit il y a huit jours, n’avait pas ſeize ans ; belle comme Vénus même, il n’y avait qu’un an qu’ils en jouiſſaient, mais elle devint groſſe, & je te l’ai dit, Théreſe, c’eſt un grand tort dans cette maiſon. Le mois paſſé ils en réformerent une de dix-ſept ans. Il y a un an, une de vingt, groſſe de huit mois ; & dernierement une à l’inſtant où elle ſentait les premieres douleurs de l’enfantement. Ne t’imagines pas que la conduite y faſſe quelque choſe, j’en ai vu qui volaient au devant de leurs déſirs, & qui partaient au bout de ſix mois, d’au-