Aller au contenu

Page:Sade - Justine, ou les Malheurs de la vertu.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 85 )


inondé des preuves de ſon délire & de ſa frénéſie.

Une autre que moi, profitant de l’arme qu’elle ſe trouvait entre les mains, ſe fût ſans doute jetée ſur ce monſtre ; mais à quoi m’eût ſervi ce trait de courage, n’ayant pas les clefs de ces ſouterrains, en ignorant les détours, je ſerais morte avant que d’en avoir pu ſortir ; d’ailleurs Roland était armé ; je me relevai donc, laiſſant l’arme à terre afin qu’il ne conçût même pas ſur moi le plus léger ſoupçon, il n’en eut point ; il avait ſavouré le plaiſir dans toute ſon étendue, & content de ma douceur, de ma réſignation bien plus peut-être que de mon adreſſe, il me fit ſigne de ſortir, & nous remontames.

Le lendemain j’examinai mieux mes compagnes, ces quatre filles étaient de vingt-cinq à trente ans ; quoiqu’abruties par la miſere & déformées par l’excès des travaux, elles avaient encore des reſtes de beautés ; leur taille était belle, & la plus jeune appellée Suzanne, avec des yeux charmans, avait encore de très-beaux cheveux ; Roland l’avait priſe à Lyon, il avait eu ſes prémices, & après l’avoir enlevée à ſa famille, ſous les ſermens de l’épouſer, il l’avait conduite dans cet affreux château ; elle y était depuis trois ans, & plus particulierement encore que ſes compagnes, l’objet des férocités de ce monſtre : à force de coups de nerf de bœuf, ſes feſſes étoient devenues calleuſes

F 3