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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/145

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LA MARQUISE DE GANGE

ne l’accorde-t-il pas à tous les hommes ? C’est que tous ne savent pas la demander, ou parce que tous ne sont pas dignes de l’obtenir. Raisonnements sophistiques, vous disent ces êtres immoraux. Beaucoup moins que les vôtres, car, s’il existe un sophisme bien constaté, il appartient bien certainement à celui qui ose établir l’Être créateur et parfait, également auteur du bien comme du mal. Non, le mal n’est pas dans la nature, il est dans la dépravation de l’homme, qui oublie ses lois, ou qui s’étourdit sur les véritables impressions de ces lois : existe-t-il un homme au monde qui puisse commettre un crime de sang-froid ?… Non, sans doute. Quel est celui qui le commet ? L’homme entraîné par ses passions ; et voilà celui qui, bravant la nature, et s’en écartant, ne peut assurément être l’homme de la nature. Mais le mal est nécessaire à la nature. Non, il en est un accident, mais non pas une nécessité : si je me jette à la rivière, et que je me noie, cette mort est un des accidents de mon action, mais elle n’est pas nécessaire ; car il ne l’était nullement que je me jetasse à l’eau. Croyons-le donc, tous les mauvais raisonnements de l’homme ne viennent que de ses passions ; en égarant son cœur, elles troublent son esprit ; qu’il les subjugue, ou qu’il les dirige, tout s’éclaircira bientôt à ses yeux : ils ne sont obscurcis que par les ténèbres où l’ont précipité ses passions.