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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/157

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LA MARQUISE DE GANGE

des tombeaux qui m’enveloppe déjà ; je n’ai de plus que l’homme mort que l’affreux désespoir de vivre ; me voilà nul à tous les événements de la vie, insensible à tous les sentiments de l’âme ; toutes ses affections s’émoussent autour de moi, je demeure étranger à toutes ; ce doux présent de la nature, ce cœur, principe de mon existence, est déjà glacé dans mon sein impassible à l’amour, à la haine, à l’espoir. Les battements de ce cœur automatisé ne sont plus que les mouvements de la pendule qui me prépare au néant ; et, comme il n’a plus le don d’aimer, le malheureux qu’on enferme a perdu celui de l’être : entre un cadavre et lui peu de différence… À qui donc parlera-t-il ? À qui s’adressera-t-il dans le silence effrayant où l’infortune le plonge ?… À Dieu seul !… Coupables écrivains, barbares incrédules, au sein des criminelles jouissances qu’autorisent vos dangereux systèmes, au moins n’enlevez pas au malheur la seule qui puisse le calmer ; laissez-lui ce Dieu qui lui tend les bras ; et, nourri d’idées bien plus grandes, le juste espoir qu’il recevra de ce divin créateur le consolera du moins de ce que vos dangereux plaisirs lui font perdre.

La marquise de Gange, qui, même au milieu des charmes de la vie, n’avait jamais cessé d’être pieuse, retrouva dans la religion toutes les douceurs qu’elle accorde à ceux qui la respectent : elle dévora les livres que lui avait laissés son mari ;