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Page:Sade - La marquise de Gange, Pauvert, 1964.djvu/90

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LA MARQUISE DE GANGE

j’outrage la reconnaissance, s’il a tort, je le compromets. La sagesse me défend donc une révélation que je crois d’ailleurs inutile au fait ; mais, pour en reconnaître la réalité, je dois vous dire les moyens qu’on me propose ; c’est principalement sur eux que je vous consulte. On veut que j’aie l’air d’accepter les hommages qui me sont offerts ; ce moyen, m’assure-t-on, est le seul qui puisse, ou ramener, ou s’éloigner à jamais mon époux de moi : s’il m’aime encore, il tombe à mes genoux, et son innocence est prouvée ; s’il me repousse, ou s’il s’irrite, sa faute est, dit-on, avérée et je dois tout faire pour m’éclaircir. Mais songez-vous, mon père, à quel point ce parti coûte à mon cœur ? Moi, feindre d’en aimer un autre qu’Alphonse ! moi, prêter l’oreille à des discours que je n’entends jamais avec transport que de lui ! Oh ! non, non, cela est impossible. Dites-moi donc ce qu’il faut que je fasse, et prenez pitié de mon sort.

— Je dois commencer, madame, répondit Eusèbe, par vous témoigner la répugnance extrême que j’éprouve à adopter une telle inculpation. S’il y avait quelqu’un dans le monde sur la sagesse de qui je pusse me prononcer d’une manière indubitable, ce serait assurément sur celle de monsieur le marquis de Gange. Je ne répéterai pas des éloges qui sont dans votre cœur, et que la justice et la vérité doivent y graver sans