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Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 3, 1797.djvu/154

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verse des pleurs ; et lui dit : oh ! ma chère dame. — Venez, mon ange, lui répond aussitôt avec affection madame d’Esterval, entrons dans cette hôtellerie, je la connais, nous y serons tranquilles : là vous me raconterez vos malheurs, là je vous apprendrai les miens ; et le résultat de cette douce confiance nous rendra peut-être moins infortunées.

Justine se laisse convaincre. On entre dans l’auberge ; madame d’Esterval fait les honneurs : un excellent dîner se sert aussi-tôt dans une chambre particulière, et la conversation devient plus intime.

Ma chère enfant, dit notre nouvelle aventurière, après avoir eu l’air de répandre quelques pleurs sur les malheurs de sa compagne, mes infortunes ne sont peut-être pas aussi multipliées que les vôtres, mais elles sont plus constantes, et, j’ose le dire, plus amères. Sacrifiée, dès mon enfance, à un mari que je déteste, j’ai depuis vingt ans sous mes yeux l’homme du monde qui m’est le plus en horreur, et depuis cette triste époque je suis cruellement privée du seul être qui eut pu faire le bonheur de ma vie. Le long des frontières de la Franche-Comté et de la Bourgogne règne une vaste forêt au fond de laquelle mon