Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 4, 1797.djvu/131

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soleil. — Qu’apperçois-je, grand Dieu ! s’écria le voyageur, est-ce bien toi, Roger, que le hasard présente à mes regards surpris ?… toi mon frère… toi que j’ai, pour ainsi dire, élevé dans mon sein… toi, mon ami, dont je sauvai deux fois les jours… toi, j’ose le dire enfin qui me doit tout dans l’univers ! Oh ! combien je rends grâces au ciel de te trouver dans ce local obscur ; quelques soient les gens qui l’habitent, tu vas m’y servir de protecteur… et je n’ai plus rien à craindre sans doute, dès que mon sort est entre tes mains ! — Que la foudre m’écrase, s’écria Roger, s’il est aucune circonstance dans le monde qui puisse m’attendrir sur ton sort ; m’eusses-tu sauvé mille vies, je te tiens, scélérat, et tes jours vont nous assurer ta fortune ; c’est bien à des gens tels que nous, qu’il faut venir parler de liens fraternels ou de reconnaissance. Apprends, faquin, que l’intérêt étouffe dans nos ames tous autres sentimens que ceux de l’avarice, de la cupidité, de la soif du sang ou des richesses ; et que, m’eusses-tu, te dis-je, rendu mille fois plus de services que tu n’en étales ici, tu n’en deviendrais pas moins notre victime. Deux coups de pistolet, lâchés par le cruel Roger, étendent à l’instant son frère