Aller au contenu

Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 4, 1797.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

euse se jette à ses pieds ; elle le conjure avec les plus vives instances de lui rendre sa liberté, et d’y joindre quelque peu d’argent pour pouvoir se conduire à Grenoble, — À Grenoble, assurément non, tu nous dénoncerais. — Eh bien ! monsieur, dit Justine en arrosant de larmes les genoux de ce scélérat, je vous fais serment de n’y jamais aller ; et pour vous en convaincre, daignez me conduire avec vous jusqu’à Venise ; peut-être n’y trouverai-je pas des cœurs aussi durs que dans ma patrie ; et une fois que vous aurez bien voulu m’y rendre, je vous jure de ne vous y jamais importuner.

Je ne t’accorderais pas pour secours un denier, répondit brutalement cet insigne coquin. Tout ce qui tient à la pitié, à la commisération, à la reconnaissance, est si loin de mon cœur, que fussé-je trois fois plus riche encore, on ne me verrait pas donner un écu à un pauvre : le spectacle de l’infortune m’irrite, il m’amuse ; et quand je ne puis faire du mal moi-même, je jouis avec délices de celui que fait la main du sort ; j’ai des principes sur cela dont je ne m’écarterai jamais : Justine, le pauvre est dans l’ordre de la nature ; en créant les hommes de forces inégales, elle nous a convaincu du desir qu’elle avait que