Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 4, 1797.djvu/84

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l’autre, mit aussi-tôt dans son esprit le desir de soulager l’infortune pour être soulagé à son tour, s’il perdait ses richesses. Alors naquit la bienfaisance, fruit de la civilisation et de la crainte ; elle n’est donc qu’une vertu de circonstance, mais nullement un sentiment de la nature, qui ne plaça jamais dans nous d’autre desir que celui de nous satisfaire à quelque prix que ce pût être. C’est en confondant ainsi tous les sentimens, c’est en n’analysant jamais rien, qu’on s’aveugle sur-tout, et qu’on se prive de toutes les jouissances. Ah ! monsieur, dit Justine avec chaleur, peut-il en être une plus douce que celle de soulager l’infortune ? Laissons à part la frayeur de souffrir soi-même. Y a-t-il une satisfaction plus vraie que celle d’obliger, jouir des larmes de la reconnaissance, partager le bien-être qu’on vient de répandre chez des malheureux qui, semblables à vous, manquaient néanmoins des choses dont vous formez vos premiers besoins, les entendre chanter vos louanges et vous appeler leur père, replacer la sérénité sur des fronts obscurcis par la défaillance, par l’abandon et le désespoir. Non, monsieur, nulle volupté dans le monde ne peut égaler celle-là, c’est celle de la divinité