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Page:Sade - La nouvelle Justine, ou les malheurs de la vertu, suivie de L'histoire de Juliette, sa soeur, tome 7, 1797.djvu/12

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près vers ce tems, une disette affreuse se fit sentir dans les environs de ma terre ; tous les habitans furent réduits à la plus grande détresse : il y eut des scènes affreuses, des filles entraînées dans le libertinage, des enfans abandonnés, et plusieurs suicides ; on vint implorer ma bienfaisance ; je tins ferme, et colorai très-impertinemment mes refus, des dépenses énormes auxquelles m’avaient entraînée mes jardins. Peut-on donner l’aumône, disais-je insolemment, quand on fait faire des boudoirs de glaces au fond de ses bosquets, et qu’on garnit ses allées de Vénus, d’Amours et de Sapho ? En vain offrait-on à mes regards tranquilles, tout ce qu’on imaginait de plus propre à toucher ma sensibilité… Des mères éplorées, des enfans nuds, des spectres dévorés par la faim ; rien ne m’ébranlait, rien ne sortait mon ame de son assiette ordinaire, et l’on n’obtenait jamais de moi que des refus. Ce fut alors qu’en me rendant compte de mes sensations, j’éprouvai, ainsi que me l’avaient annoncé mes instituteurs, au lieu du sentiment pénible de la pitié, une certaine commotion produite par le mal que je croyais faire, en rejetant ces