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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/173

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qui ne savait pas marcher lentement, aimait à voler et à s’élever près d’elle. Il avait, comme il le dit, l’esprit frileux ; il aimait qu’il fit beau et tiède autour de lui ; il trouvait auprès d’elle cette sérénité et cette chaleur d’affection, et il y puisait la force dans l’indulgence. Comme elle faisait fi de la vie, il lui en prêchait constamment le soin et l’amour ; il aurait voulu lui rapprendre l’espérance :

« Je suis payé, lui écrivait-il, pour vous désirer la santé, puisque je vous ai vue ; j’en connais l’importance, puisque je n’en ai pas… Cela, dites-vous, serait plus tôt fait. Plus tôt, oui, mais non pas bientôt. On meurt longtemps, et si, brutalement parlant, il est quelquefois agréable d’être mort, il est affreux d’être mourant pendant des siècles. Enfin, il faut aimer la vie quand on l’a : c’est un devoir. »

Il lui répète cette vérité de la morale et de l’amitié sous toutes les formes : il aurait voulu apaiser, ralentir en elle cette activité qui la dévorait et qui usait ses frêles organes. Il aurait voulu lui insinuer ce mot résigné de Mme de La Fayette : C’est assez que d’être :

« Ayez, lui disait-il, le repos en amour, en estime, en vénération, je vous en supplie à mains jointes. C’est, je vous assure, en ce moment le seul moyen de ne faire que peu de fautes, de n’adopter que peu d’erreurs, de ne souffrir que peu de maux. » — « Vivre, lui disait-il encore, c’est penser et sentir son âme ; tout le reste, boire, manger, etc., quoique j’en fasse cas, ne sont que des apprêts du vivre, des moyens de l’entretenir. Si on pouvait n’en avoir aucun besoin, je m’y résignerais facilement, et je me passerais fort bien de corps si on me laissait toute mon âme. »

Il avait ses raisons pour parler ainsi, lui dont on a dit qu’il avait l’air d’une âme qui a rencontré par hasard un corps et que s’en tire comme elle peut. Il conseillait donc à cette aimable amie le repos, l’immobilité, de