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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/279

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partage le sort du reste de l’armée. Mais le récit de M. de Fezensac, en devenant un peu moins particulier, ne perd pas pour cela en intérêt. On y suit à chaque pas la désorganisation, la destruction de cette force immense, destruction qui semble toujours être arrivée à son extrême limite, et qui a toujours un degré de plus à franchir. En étant ramené à l’étudier sur un point précis, on en prend une plus exacte et plus terrible mesure. Ainsi le corps de Ney, qui était de 10 à 11,000 hommes en quittant Moscou, qui était encore de 6,000 au combat de Krasnoi, n’est plus que de 8 ou 900 hommes en arrivant à Orcha. Après le passage de la Bérésina, on ne parvient avec ces débris à réunir au plus que 100 hommes en état de combattre, et qui font escorte au maréchal. Le 4e régiment, celui de M. de Fezensac, en sortant de Wilna, et au moment de franchir le Niémen, ne se compose plus que d’une vingtaine d’officiers malades, et d’un pareil nombre de soldats, dont la moitié sans armes. Ce sont pourtant les restes de ce corps, joints à quelques autres débris, qui reçoivent l’ordre de faire l’arrière-garde jusqu’à la fin, et de défendre tant qu’ils le pourront le pont de Kowno, pour donner au gros de la déroute le temps de s’écouler. Il faut voir comme Ney retrouve et inspire un dernier élan pour s’acquitter de cet ordre avec honneur. Même après avoir franchi le Niémen, et lorsqu’on a lieu enfin de se croire en sûreté, cette extrême arrière-garde se retrouve tout à coup en danger d’être enlevée par un parti de Cosaques, et l’on se voit obligé de renouveler à travers champs une marche de nuit, conduite encore par Ney, et qui rappelle, mais plus tristement, l’aventure du Dniéper. « Un cheval blanc, dit M. de Fezensac, que nous montions à poil les uns après les autres, nous fut d’un grand secours. » Ce cheval blanc que chacun monte à poil à son tour est le