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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/314

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Racine, et qui exaltent aujourd’hui les moindres bagatelles du brillant poëte, à l’égal de ce qu’il a fait de mieux et de réellement bon. Ce n’est pas au moment où M. de Musset s’élevait le plus haut que cette vogue mondaine s’est déclarée ; elle n’est venue qu’après, comme il arrive d’ordinaire, mais elle existe. Il est le poëte favori du jour ; le boudoir a renchéri sur l’École de droit. Quand on est d’un âge très-jeune, d’une certaine date très-récente, c’est par Musset qu’on aborde volontiers la poésie moderne. La mère n’en conseille pas encore la lecture à sa fille ; le mari le fait lire à sa jeune femme dès la première année de mariage. Je crois, un jour, avoir vu un volume de ses Poésies se glisser jusque dans une corbeille de noces. C’est là un côté amusant pour l’observateur, et qui n’est pas du tout désagréable pour le poëte. Seulement, qu’il se hâte en ceci de jouir, et qu’il ne s’y fie pas.

Les vers lyriques que M. de Musset a laissé échapper depuis ses Nuits et qu’on vient de recueillir offrent quelques pièces remarquables. J’en distingue une intitulée Soirée perdue, où il a entre-croisé assez gracieusement un motif d’André Chénier avec une pensée de Molière, une satire sur la Paresse, où le poëte s’est excité d’une lecture de Regnier ; un joli conte, Simone, où il s’est souvenu de Boccace et de La Fontaine ; mais surtout un Souvenir plein de charme et de passion encore, où il ne s’est inspiré que de lui-même. Le poëte est allé revoir des lieux qui lui furent chers, quelque forêt, celle de Fontainebleau peut-être, où il avait passé des jours heureux. Ses amis craignaient pour lui ce pèlerinage et le réveil des souvenirs. Il n’est pire douleur, a dit Dante, que de se rappeler les jours heureux quand on est dans le malheur. Mais M. de Musset éprouva le contraire, et ce réveil du passé qu’on craignait pour lui et qu’il craignait