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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/329

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cussions, les tiraillements des partis, le côté parlementaire de l’histoire, la situation des idées dans les divers groupes à un moment donné : il entend supérieurement cette manœuvre des idées. Sorti de race calviniste, il en a conservé un certain tour austère, l’affinité pour comprendre et rendre ces naturels tenaces, ces inspirations énergiques et sombres. Les habitudes de race et d’éducation première se marquent encore dans le talent et se retrouvent dans la parole, même lorsqu’elles ont disparu des habitudes de notre vie : on en garde la fibre et le ton. Les hommes, les caractères sont exprimés, à la rencontre, par des traits vigoureux ; mais le tout manque d’un certain éclat, ou plutôt d’une certaine animation intime et continue. Les personnages ne vivent pas d’une vie à eux ; l’historien les prend, les saisit, il en détache le profil en cuivre. Son dessin accuse une main d’une grande fermeté, d’une grande assurance. Il sait ce qu’il veut dire et où il veut aller : il n’hésite jamais. Le côté ridicule et ironique des choses, le côté sceptique dont d’autres historiens ont abusé, n’a chez lui aucune place. Il fait très-bien sentir une sorte de gravité morale subsistante chez les mêmes hommes au milieu des manœuvres et des intrigues ; mais il ne met pas la contradiction assez à jour. Il a, chemin faisant, mainte maxime d’État, mais aucune de ces réflexions morales qui éclairent et réjouissent, qui détendent, qui remettent à sa place l’humanité même, et comme il en échappe sans cesse à Voltaire. Son style, à lui, est triste et ne rit jamais. Je me suis donné le plaisir de lire en même temps des pages correspondantes de Hume : on ne croirait pas qu’il s’agisse de la même histoire, tant le ton est différent ! Ce que je remarque surtout, c’est qu’il m’est possible, en lisant Hume, de le contrôler, de le contredire quelquefois : il m’en procure le moyen par les détails