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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/356

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jours vers le combat. » Mais Sohrab a beau vouloir forcer le secret, la fatalité remporte : « Comment veux-tu gouverner ce monde que gouverne Dieu ? s’écrie le poëte. C’est le Créateur qui a déterminé d’avance toutes choses. Le sort a écrit autrement que tu n’aurais voulu, et, comme il te mène, il faut que tu suives. »

Sohrab engage le combat ; tout plie devant lui. Jamais nos vieux romans de chevalerie n’ont retenti de pareils coups d’épée. Les plus vaillants chefs reculent. Roustem est appelé ; il arrive, il se trouve seul en présence de son fils, et le duel va s’entamer. La pitié, tout à coup, saisit le vieux chef, en voyant ce jeune guerrier si fier et si beau :

« Ô jeune homme si tendre ! lui dit-il, la terre est sèche et froide, l’air est doux et chaud. Je suis vieux ; j’ai vu maint champ de bataille, j’ai détruit mainte armée, et je n’ai jamais été battu… Mais j’ai pitié de toi et ne voudrais pas t’arracher la vie. Ne reste pas avec les Turcs ; je ne connais personne dans l’Iran qui ait des épaules et des bras comme toi. »

En entendant ces paroles qui semblent sortir d’une âme amie, le cœur de Sohrab s’élance, il a un pressentiment soudain ; il demande ingénument au guerrier s’il n’est pas celui qu’il cherche, s’il n’est pas l’illustre Roustem. Mais le vieux chef, qui ne veut pas donner à ce jouvenceau trop d’orgueil, répond avec ruse qu’il n’est pas Roustem, et le cœur de Sohrab se resserre aussitôt ; le nuage qui venait de s’entr’ouvrir se referme, et la destinée se poursuit.

Le duel commence : il n’est pas sans vicissitudes et sans péripéties singulières ; il dure deux jours. Dès le premier choc, les épées des combattants se brisent en éclats sous leurs coups : « Quels coups ! on eût dit qu’ils amenaient la Résurrection ! » Le combat continue à coups de massue ; nous sommes en plein âge héroïque.