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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/357

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Le premier jour, le duel n’a pas de résultat. Après une lutte acharnée, les deux chefs s’éloignent, se donnant rendez-vous pour le lendemain. Roustem s’étonne d’avoir rencontré pour la première fois son égal, presque son maître, et de sentir son cœur défaillir sans savoir pourquoi. Le second jour, au moment de reprendre la lutte, Sohrab a un mouvement de tendresse, et la nature, près de succomber, fait en lui comme un suprême effort. En abordant le vieux chef, il s’adresse à lui le sourire sur les lèvres, et comme s’ils avaient passé la nuit amicalement ensemble :

« Comment as-tu dormi ? lui demande-t-il ; comment t'es-tu levé ce matin ? Pourquoi as-tu préparé ton cœur pour la lutte ? Jette cette massue et cette épée de la vengeance, jette tout cet appareil d’un combat impie. Asseyons-nous tous deux à terre, et adoucissons avec du vin nos regards courroucés. Faisons un traité en invoquant Dieu, et repentons-nous dans notre cœur de cette inimitié. Attends qu’un autre se présente pour le combat, et apprête avec moi une fête. Mon cœur te communiquera son amour, et je ferai couler de tes yeux des larmes de honte. Puisque tu es né d’une noble race, fais-moi connaître ton origine ; ne me cache pas ton nom, puisque tu vas me combattre : ne serais-tu pas Roustem ?… »


Roustem, par sentiment d’orgueil, et soupçonnant toujours une feinte de la part d’un jeune homme avide de gloire, dissimule une dernière fois, et, dès ce moment, le sort n’a plus de trêve. Toutes ces ruses de Roustem (et j’en supprime encore) tournent contre lui ; il finit par plonger un poignard dans la poitrine de son fils, et ne le reconnaît que dans l’instant suprême. Le jeune homme meurt avec résignation, avec douceur, en pensant à sa mère, à ses amis, en recommandant qu’on épargne après lui cette armée qu’il a engagée dans une entreprise téméraire :

« Pendant bien des jours je leur ai donné de belles paroles, je