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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/371

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Courier n’a jamais si bien réussi. Voyons un peu.

Le père Barbeau, cultivateur de la Cosse, avait du bien et en bonne terre. Il avait une maison bien bâtie, couverte en tuiles, avec jardin, vigne et verger ; il avait deux champs. Il cueillait dans ses prés du foin à pleins charrois, et c’était du foin de première qualité, « sauf celui qui était au bord du ruisseau, et qui était un peu ennuyé par le jonc. » Il avait déjà trois enfants, quand sa femme, voyant sans doute qu’il avait du bien pour cinq, et qu’il fallait se dépêcher parce qu’elle tirait sur l’âge, s’avisa de lui donner d’un coup deux jumeaux, deux bessons, comme on dit dans le pays. Ces deux bessons, dont l’un, venu une heure avant l’autre, s’appela Sylvain ou Sylvinet, et l’autre Landry, étaient pareils de tout point, et, tant qu’ils furent enfants, on eut peine à les distinguer l’un de l’autre. Ils étaient blonds ; ils avaient tout à fait bonne mine, de grands yeux bleus, les épaules bien avalées, le corps droit et bien planté. Tous ceux qui les voyaient s’arrêtaient émerveillés de leur retirance (ressemblance), et chacun s’en allait disant : « C’est tout de même une jolie paire de gars. » Ces deux jumeaux ou bessons sont les héros du roman qui a pour titre la Petite Fadette.

On fera tout d’abord une remarque sur ce style demi-rustique, demi-vieilli, que l’auteur, dans tout ce roman, a employé et distribué avec beaucoup d’art et de bonheur : c’est que, pour vouloir être ici plus naturel que dans la Mare-au-Diable, l’artificiel commence. Il y a des moments où le Chanvreur, qui est censé parler, oublie que c’est lui qui parle, et il s’exprime comme ferait directement Mme Sand ; puis il s’en aperçoit tout à coup, il remet des mots de campagne, des locutions vieillies, et cela fait un léger cahotement. Je me hâte d’ajouter que ce cahotement ici, et pour cette fois du moins,