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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/372

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n’est pas du tout désagréable. La Petite Fadette est une étude des plus piquantes et des plus heureuses. On y rencontre des scènes dignes, pour la finesse et la gaieté d’expression, du joli roman de Daphnis et Chloé. J’ai dit que Mme Sand applique le procédé de Paul-Louis Courier ; mais, en s’en souvenant, elle moins savante ; par une grâce de génie, elle fait mieux d’emblée, c’est-à-dire avec plus de verve, plus d’entrain facile. Là même où il y a quelque pastiche, c’est plus vif et comme de source, c’est de l’Amyot à plein courant. Organisation singulière, qui a le don et la puissance d’absorber ainsi tout d’un trait et de s’assimiler d’abord ce qui lui convient ! Elle aura tenu durant une huitaine de jours Amyot entr’ouvert, elle l’aura lu à bâtons rompus, et elle se l’est infusé plus abondamment et plus au naturel que le docte et l’exquis Courier durant des années de dégustation et d’étude de cabinet.

L’enfance des deux jumeaux est retracée d’une adorable façon : celui qui est censé l’aîné, Sylvinet, s’annonce de bonne heure comme le plus touchant, le plus sensible ; il a plus d’attache, Landry a plus de courage. « Il est écrit dans la loi de nature, remarque l’auteur, que de deux personnes qui s’aiment, soit d’amour, soit d’amitié, il y en a toujours une qui doit donner de son cœur plus que l’autre, qui doit y mettre plus du sien. » Les sympathies mystérieuses qui continuent, après la naissance, d’enchaîner ces deux êtres appartiennent à une physiologie obscure que l’auteur a sentie et devinée sans s’y trop enfoncer ; les superstitions populaires s’y mêlent sans invraisemblance. Le moment où, des deux jumeaux, celui qui passe pour le cadet, Landry, se détache, prend le dessus, et se met décidément à devenir l’aîné, à voler de ses propres ailes et à se faire homme, est admirablement saisi. L’autre, le gentil Syl-