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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/382

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licence, de dévergondage et de confusion. Un homme puissant replaçait sur ses bases l’ordre social et politique. Toutes les fois qu’après un long bouleversement l’ordre politique se répare et reprend sa marche régulière, l’ordre littéraire tend à se mettre en accord et à suivre de son mieux. La critique (quand critique il y a), à l’abri d’un pouvoir tutélaire, accomplit son œuvre et sert la restauration commune. Sous Henri IV, après la Ligue, on eut Malherbe ; sous Louis XIV, après la Fronde, on eut Boileau. En 1800, après le Directoire et sous le premier Consul, on eut en critique littéraire la monnaie de Malherbe et de Boileau, c’est-à-dire des gens d’esprit et de sens, judicieux, instruits, plus ou moins mordants, qui se groupèrent et s’entendirent, qui remirent le bon ordre dans les choses de l’esprit et firent la police des Lettres. Quelques-uns firent cette police fort honnêtement, d’autres moins, la plupart y apportèrent une certaine passion, mais presque tous, à les prendre au point de départ, agirent utilement.

À ces époques qui suivent un grand danger et où l’on vient d’échapper à de grands malheurs, on sent très-distinctement le bien et le mal en toutes choses ; on est disposé à exclure, à interdire ce qui a nui, et c’est le moment où le critique trouve le plus d’appui et de collaboration dans le public. Le public des honnêtes gens (entendez ce mot aussi largement que vous voudrez) est disposé à lui prêter main-forte. Le critique peut être un brave, mais en général ce n’est pas un héros, et, comme bien des braves, pour avoir toute sa bravoure, il a besoin de se sentir appuyé. En 1800, il y avait encore assez de lutte pour qu’il fallût du courage au critique qui voulait combattre les doctrines et les déclamations en vogue ou détrônées à peine ; il y avait déjà assez d’appui pour que le critique n’eût pas besoin d’hé-