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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/435

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ciété ; on lisait le recueil de ses Lettres, assez récemment publié ; on s’en prêtait d’inédites sur le procès de Fouquet. Horace Walpole raffolait d’elle et ne l’appelait que Notre-Dame-de-Livry. Oh ! que de fois Mme Du Deffand, pour lui plaire, envia le style de cette sainte de Livry ! « Mais gardez-vous bien de l’imiter ! lui disait Walpole ; votre style est à vous, comme le sien est à elle. » Mme de Sévigné, d’ailleurs, est parfaitement jugée par Mme Du Deffand, ainsi que son cousin Bussy. Mme de Maintenon n’est pas moins saisie au naturel : « Je persiste à trouver que cette femme n’était point fausse, mais elle était sèche, austère, insensible, sans passion… » Tout ce portrait de Mme de Maintenon est à lire chez Mme Du Deffand, et reste le plus ressemblant de tous ceux qu’on a pu faire. On serait même tenté de le lui appliquer en partie à elle-même dans les conclusions, si Mme Du Deffand, en aimant Walpole, n’avait démenti par ce rajeunissement inespéré son antique renom de sécheresse.

Walpole était un curieux, un amateur, antiquaire, bibliophile, ayant toutes sortes de goûts et peut-être même quelques manies. Mme Du Deffand lui portait envie de ce qu’il ne s’ennuyait jamais dans la solitude ; mais, avec son goût sévère, elle ne comprenait pas qu’on aimât pêle-mêle tant de choses, qu’on pût lire à la fois Shakspeare et la Guerre de Genève de Voltaire, admirer Mme de Sévigné et se plaire aux romans d’un Crébillon fils. Elle le lui dit. En fait d’histoire pourtant et de Mémoires, elle se félicite d’avoir un rapport de goût avec lui. On me permettra de citer encore ce passage, parce qu’on a accusé Mme Du Deffand de ne point aimer Plutarque, et que je suis sûr que, si elle ne l’a point aimé, c’est qu’elle a découvert un tant soit peu de rhéteur en lui :