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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/456

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l’original, on s’écrie : Que c’est vrai ! on est tenté ici, même en admirant les traits de talent, de s’écrier : « Mais cela n’est pas possible ainsi ! » Un très-bon juge me disait à ce sujet, et je ne puis mieux faire que de rapporter ses paroles : « Quant au fond, M. de Chateaubriand se rappelle sans doute les faits, mais il semble avoir oublié quelque peu les impressions, ou du moins il les change, il y ajoute après coup ; il surcharge. Ce sont les gestes d’un jeune homme et les retours d’imagination d’un vieillard, ou, s’il n’était pas vieillard alors qu’il écrivait, d’un homme politique entre deux âges, qui revient à sa jeunesse dans les intervalles de son jeu, de sorte qu’il y a bigarrure, et que par moments l’effet qu’on reçoit est double : c’est vrai et c’est faux à la fois. » On en pourrait dire autant de la plupart des Mémoires nés avant terme et composés en vue d’un effet présent.

Ne me fiant pas entièrement à ma propre impression sur ces Mémoires d’Outre-Tombe, j’ai voulu ainsi m’éclairer en consultant l’impression des autres, et j’ai recueilli un certain nombre de ces jugements, qui sont divers, mais dont aucun ne se contredit. La vraie critique à Paris se fait en causant : c’est en allant au scrutin de toutes les opinions, et en dépouillant ce scrutin avec intelligence, que le critique composerait son résultat le plus complet et le plus juste. Voici encore un jugement qui n’est pas de moi, mais que je dérobe à l’un des maîtres d’aujourd’hui :


« Je lis les Mémoires d’Outre-Tombe, et je m’impatiente de tant de grandes poses et de draperies. C’est un ouvrage sans moralité. Je ne veux pas dire par là qu’il soit immoral, mais je n’y trouve pas cette bonne grosse moralité qu’on aime à lire même au bout d’une fable ou d’un conte de fées. Jusqu’à présent cela ne prouve rien et ne veut rien prouver. L’âme y manque, et moi qui ai tant