Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

core les revoir en place, recomposer l’ensemble de l’époque et l’existence entière du personnage ; en un mot, il faut déjà faire un peu de cette étude et de cet effort qu’on fait pour les anciens. Je l’essaierai ici un moment pour l’abbé de Chaulieu. Il était né à Fontenay-en-Vexin, en 1639, et il ajouté un nom de plus à la liste déjà si brillante des poëtes normands. Saint-Simon, qui conteste la noblesse de tout le monde, a contesté celle de Chaulieu : il l’a qualifié « homme de fort peu, mais de beaucoup d’esprit, de quelques lettres, et de force audace. » Dès 1745, l’abbé d’Estrées avait prouvé, sur cette question de généalogie, que la famille des Anfrie, seigneurs de Chaulieu, était d’épée avant d’être de robe (circonstance réputée honorable), et qu’elle servait sur un bon pied du temps de Charles VII. Il paraît qu’elle était originaire d’Angleterre. Quoi qu’il en soit, Guillaume de Chaulieu, le futur abbé, était fils d’un maître des comptes de Rouen. Il vint étudier à Paris, au Collége de Navarre, et s’y lia avec les fils du duc de La Rochefoucauld (l’auteur des Maximes), gens d’esprit eux-mêmes. On sait d’ailleurs très-peu de chose sur les premières années de Chaulieu. S’il eût été homme appliqué et d’étude, il était d’âge à percer en plein règne de Louis XIV ; mais, son génie étant tout de hasard et de rencontre, il attendit les dernières années du règne et le commencement du xviiie siècle pour s’épanouir, pour se montrer tout entier lui-même ; on ne se le figure guère se couronnant de fleurs qu’en cheveux blancs, et à l’âge de près de quatre-vingts ans.

Cependant cette longue vie avait dû se passer à bien des choses. Les plaisirs, la société, les tentatives d’ambition et de fortune y furent pour beaucoup. Les Lettres publiées par M. de Bérenger nous montrent Chaulieu à l’âge de trente-six ans (1675), très-lancé dans le meil-