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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, I, 3e éd, 1857.djvu/463

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leur monde, l’intime et le familier des Bouillon, des Vendôme, des Marsillac, et, dans sa première pointe d’ambition, accompagnant M. de Béthune ; alors envoyé extraordinaire en Pologne. L’illustre Sobieski venait d’être élu roi de Pologne ; il avait pour femme une d’Arquien. Le marquis de Béthune, qui avait épousé une sœur de la nouvelle reine, fut envoyé pour complimenter le roi son beau-frère. Cette idée d’une reine française, simple fille de qualité, cette brusque fortune avait mis les imaginations en éveil. Chaulieu crut y voir jour à une carrière, moyennant l’amitié que lui portait le marquis de Béthune. Durant ce voyage, il écrit à sa belle-sœur Mme de Chaulieu, et lui rend compte des réceptions, des régals, rasades et bombances sans nombre. Il parle des Polonais comme on en parlait alors, c’est-à-dire comme d’une espèce de peuple barbare, à demi asiatique, et chez qui les moindres singularités de mœurs et de costumes intéressent :


« Vous ne sauriez vous faire une idée de la majesté et de la fierté des Polonais, dont ils sont redevables moitié a leur barbe, moitié à leurs grandes robes et à leurs sabres. Je n’ai jamais rien vu qui imprime tant de terreur. Auprès du plus petit, le grand Girard serait un nain. Je vous assure que c’est un agréable spectacle que d’en voir cent avec des vestes de toutes sortes de couleurs, des écharpes de soie tressée où pend un sabre auprès duquel le mien, que l’abbé de Marsillac a tant vanté, serait un canivet (petit couteau). C’est la mode, en ce pays ici, d’avoir des gentilshommes polonais. J’en prends quatre en arrivant à Varsovie. On ne leur donne que quarante sols par semaine pour nourriture, entretien, gages et tout le reste. Je vois bien que ce seyait folie de faire venir ici mes gens… Cependant je suis ruiné ici. On ne trouve rien du tout en Pologne. »


À peine arrivé, il accompagne Sobieski dans une expédition en Ukraine :


« Enfin nous partons dans trois jours pour l’armée. C’est dom-