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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, V, 3e éd.djvu/179

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temps a dégagé en elle, et qui la place désormais à un rang si distingué et si bien établi.

Madame de Motteville, née vers 1621, était de son nom Françoise Bertaut, nièce du poëte-éveque, illustre en son temps et encore remarquable pour le sentiment et l’élégance, de ce Bertaut que Boileau a loué de sa retenue, et que Ronsard avait jugé un poëte trop sage. Je relève tout d’abord ce fonds de sagesse, qui semblait appartenir à la race : madame de Motteville avait une sœur cadette que, dès son enfance, on appelait Socratine à cause de sa sévérité, et qui finit par se faire carmélite. Cette sévérité, très-adoucie et très-ornée chez la sœur aînée, ne méritait que le nom de raison et de bon esprit. C’est ainsi qu’en parlaient tous ceux qui ne la connaissaient que de réputation : « Mélise peut passer pour une des plus raisonnables précieuses de l’île de Délos, » est-il dit dans le Grand Dictionnaire des Précieuses. Mademoiselle Bertaut avait reçu une éducation très-soignée et très-littéraire. Son père, Pierre Bertaut, était gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. Sa mère, qui tenait à une noble maison d’Espagne et qui avait jeune habité ce pays, fut distinguée de la reine Anne d’Autriche, dans les premiers temps que cette princesse était en France ; sachant l’espagnol comme sa propre langue, elle fut d’abord employée par elle à ses correspondances de famille, et traitée comme une amie. Elle profita de cette faveur pour donner, comme on disait alors, c’est-à-dire pour attacher à la reine sa fille dès l’âge de sept ans (1628). Mais le cardinal de Richelieu, qui s’inquiétait de l’entourage de la jeune reine, et qui voulait lui couper les communications avec l’Espagne, éloigna cette jeune enfant : ce dont Anne d’Autriche se plaignit fort. À toutes ses plaintes, « on lui répondit, nous dit madame de Motteville, que ma mère était demi-Espagnole, qu’elle avait beaucoup d’esprit,