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Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, V, 3e éd.djvu/180

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que déjà je parlais espagnol, et que je pouvais lui ressembler. » Madame Bertaut emmena donc sa fille, âgée de dix ans, en Normandie, où elle acheva de l’élever avec soin. La jeune personne gardait toujours une pension vie 600 livres de la reine, et en 1639 elle mérita, pour sa beauté et sa bonne réputation, d’être mariée à M. Langlois de Motteville, premier président de la Chambre des Comptes de Normandie, qui l’épousa en troisièmes noces. « Ce mariage était mal assorti, lit-on dans le Journal des Savants (janvier 1724) ; le président avait quatre-vingts ans, et elle n’en avait que dix-huit. Aussi dit-on qu’elle s’ennuyait quelquefois de la moitié du lit, et que, quand le bonhomme était endormi, elle faisait prendre sa place à une femme de chambre, et que le vieux président ne s’apercevait de rien. » Si ce détail, consigné dans le grave Journal, est exact, ce fut là la plus vive espièglerie de madame de Motteville. Sa nature calme et peu passionnée ne paraît point avoir souffert d’ailleurs d’une telle union : « En l’année 1639, ayant épousé M. de Motteville, dit-elle, qui n’avait point d’enfants et avait beaucoup de biens, j’y trouvai de la douceur avec une abondance de toutes choses ; et si j’avais voulu profiter de l’amitié qu’il avait pour moi, et recevoir tous les avantages qu’il pouvait et voulait me faire, je me serais trouvée riche après sa mort. » Mais elle négligea ces vues d’intérêt, et, comme tous les exilés de la Cour, elle n’était occupée en ce moment qu’à espérer la fin prochaine du cardinal de Richelieu, d’où elle attendait le retour de la faveur. À la mort du cardinal et du roi, l’un des premiers soins de la reine fut de rappeler auprès d’elle ses anciens amis disgraciés pour l’amour d’elle, et madame de Motteville fut du nombre ; elle fut dès lors attachée à la reine moins encore comme femme de chambre (elle en avait le titre) que comme l’une des personnes de sa conversation et de son intimité.