Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, V, 3e éd.djvu/181

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Sage, secrète, régulière, d’un esprit doux et enjoué avec nuances, d’une curiosité à la lois sérieuse et amusée, d’un coup d’œil observateur qui ne cherchait pas à être perçant ni profond et qui se contentait de bien voir ce qui se faisait autour d’elle, elle passa ainsi vingt-deux années bien diverses, et dont quelques-unes furent agitées des plus violents orages. Fidèle et dévouée sans se piquer d’être héroïque, elle sut accommoder les timidités de son sexe avec les obligations et les devoirs de son état, et traverser à la Cour tant d’écueils visibles ou cachés, sans se détourner de sa voie, et en restant dans les règles et les délicatesses d’une exacte probité : femme en bien des points, mais la plus raisonnable des femmes, personne essentielle et aimable tout ensemble. Elle ne paraît pas avoir songé jamais à se remarier, ni avoir connu de tendres faiblesses. Dans cette agréable discussion qu’elle soutint par lettres avec la grande Mademoiselle sur les conditions d’une vie parfaitement heureuse, elle lui écrivait ; « Je n’avais que vingt ans quand la liberté me fut rendue ; elle m’a toujours semblé préférable à tous les autres biens que l’on estime dans le monde, et, de la manière que j’en ai usé, il semble que j’ai été habitante du village de Randan, » — un village d’Auvergne où les veuves ne se remariaient pas. Ce nom de douairière, qu’elle eut de bonne heure, ne l’effarouchait en rien. Elle jouissait de l’amitié, de la conversation : elle savait au besoin « goûter les douceurs des solitaires, qui sont les livres et les rêveries. » Une religion vraie et pratique, qui n’excluait pas, mais qui ramenait à elle les réflexions mêmes de la philosophie, la soutenait et l’affermissait dans sa vertu et dans sa prudence. Ainsi pour cette âme égale et tempérée se passa la vie, sans grand éclat, sans trouble intérieur, et dans une maturité constante.

On se demande d’abord de madame de Motteville,