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Page:Sainte-Beuve - Poésies 1863.djvu/459

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PENSÉES D’AOÛT.

Dont il sera le chef, à l’homme est refusé,
Où se prendre ? Où guérir un cœur trop vite usé ?
En cette heure de calme, en ce lieu d’innocence,
Dans ce fond de lointain et de prochain silence,
La réponse est distincte, et je l’entends venir
Du Ciel et de moi-même, et tout s’y réunir.
Oh ! oui ; ce qui pour l’homme est le point véritable,
La source salutaire avec le rocher stable ;
Ce qui peut l’empêcher ou bien de s’engourdir
Aux pesanteurs du corps, ou bien de s’enhardir,
S’il est grand et puissant, à l’orgueilleuse idée
Qu’il pose ensuite au monde en idole fardée
Et dans laquelle il veut à tout jamais se voir,
Ce qu’il faut, c’est à l’âme un malheur, un devoir !

— Un malheur (et jamais il ne tarde à s’en faire),
Un malheur bien reçu, quelque douleur sévère
Qui tire du sommeil et du dessèchement,
Nous arrache aux appâts frivoles du moment,
Aux envieux retours, aux aigreurs ressenties ;
Qui Mette bas d’un coup tant de folles orties
Dont avant peu s’étouffe un champ dans sa longueur,
Et rouvre un bon sillon avec peine et sueur !
— Un devoir accepté, dont l’action n’appelle
Ni l’applaudissement ni le bruit après elle,
Qui ne soit que constance et sacrifice obscur :
Sacrifice du goût le plus cher, le plus pur,
Tel que l’honneur mondain jamais ne le réclame,
Mais voulu, mais réglé dans le monde de l’âme.
Et c’est ainsi qu’il faut, au ciel avant le soir,
À son cœur demander un malheur, un devoir !

Marèze avait atteint à très peu près cet âge
Où le flot qui poussait s’arrête et se partage ;