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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/122

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PORT-ROYAL.

Dieu on est suspect d’enlever le libre arbitre. » Mais, dans la poursuite qu’il fait de l’erreur pélagienne, il lui semble que c’est encore moins aux mots qu’au sens connu et à l’intention une fois atteinte et pénétrée qu’il s’agit de se prendre, et que c’est là qu’il faut viser à travers tout le réseau et le voile des expressions. — Ainsi Satan, chez Milton, Satan, c’est-à-dire l’orgueil déchu, quand il veut s’introduire dans Éden pour corrompre l’homme, revêt la forme d’un ange adolescent, d’un chérubin du second ordre ; il joue la modestie et semble orné d’une grâce convenable : une petite couronne se pose sur ses cheveux bouclés, et ses pas pleins de décence vont comme réglés au mouvement de sa baguette d’argent. Mais, à un sentiment d’envie, de désespoir et de haine qui a traversé son cœur et qui a percé sur son visage, Uriel l’a reconnu.[1] C’est dans cette idée exactement, sinon sous cette image, que Jansénius, qui semble être par endroits le théologien dont Milton est le poète,[2] nous dit : « Quand il s’agit de cette erreur, ce n’est pas comme des autres : il ne faut pas mesurer le sens par les paroles, mais bien plutôt juger des paroles par le sens ; car ce mot de saint Augustin a plus de portée qu’on ne croit : Nous qui savons ce que vous pensez, nous ne pouvons ignorer comment et en quel sens vous dites ces choses. »

Il n’est pas possible de mieux entendre, et plus en philosophe chrétien, toute la gravité de la doctrine de Pélage, de cet homme précurseur, sorti de la patrie, je ne dis pas de Wiclef, car il allait au delà de Wiclef,[3] mais de celle de Bacon et de Locke.

  1. Paradis perdu, liv. III et IV, traduction de Chateaubriand.
  2. Bien que Milton soit peut-être au fond quelque peu arien et pélagien, mais je ne veux parler que d’un certain rapport d’élévation et de beauté théologique sombre. On en donnera des échantillons encore.
  3. Au delà et même au rebours sur ces points de Grâce.