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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/121

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LIVRE DEUXIÈME.

derrière, ne nous bouche les oreilles sur cette mer orageuse de confuses doctrines où nous naviguons, et ne nous lie par la pensée à l’immobile autorité de saint Augustin, comme au mât du vaisseau, à peine pouvons-nous, ou même à coup sûr nous ne pouvons pas ne pas être en partie séduits de cette funeste douceur. » — «On a remarqué, dit-il encore (et c’est là le caractère singulier et propre de cette hérésie), qu’il existe une telle connexion entre toutes les erreurs du Pélagianisme, que, si on épargne même une seule des plus minces fibres et des plus extrêmes, et perceptible à peine à des yeux de lynx, une seule petite racine d’un seul dogme semi-pélagien, bientôt toute la masse de cette erreur superbe, toute la souche, avec sa forêt de rameaux empestés, reparaît et s’élance… De sorte que (voyez l’enchaînement), si vous donnez un brin à Pélage, il faut tout donner ; que si, trompé par le fard de l’erreur, par le prestige des mots, vous réchauffez dans votre sein ce serpent mort et lui rendez une seule palpitation, à l’instant, bon gré mal gré, et enlacé que vous êtes, il vous en faut venir à éteindre toute la vraie Grâce, à tuer la vraie piété, à supprimer le péché originel, à évincer le scandale de la Croix, à rejeter Christ lui-même, à dresser enfin dans toute sa hauteur le trône diabolique de la superbe humaine ; bon gré, mal gré, il le faut. »[1]

En même temps Jansénius reconnaît toute la difficulté de cette extirpation radicale et de ce discernement extrême : « Cette question où il s’agit du libre arbitre et de la Grâce est (il l’avoue) si délicate que, lorsqu’on défend le libre arbitre, on a l’air de nier la Grâce de Dieu, et qu’au contraire au moment où l’on maintient la Grâce de

  1. Et il redit (ailleurs) le mot foudroyant de saint Augustin sur Pélage : «Savez-vous où tend toute cette dispute ? à faire penser qu’il a été dit en vain : Tu le nommeras du nom de JÉSUS et il sera le Sauveur. »