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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/137

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LIVRE DEUXIÈME.

Et reprenant cette expression étonnante et étonnée de l’abîme qu’il trouve entre le Christianisme selon saint Augustin et celui des modernes théologiens, il va jusqu’à s’écrier :

«Cette théologie moderne diffère si fort de saint Augustin qu’il faut, ou qu’Augustin lui-même se soit trompé en mille sens autant qu’on se peut tromper en si grave matière, ou bien que, s’il a enseigné selon le sens de l’Église catholique la vérité tant sur les autres articles que sur ceux en particulier de la Grâce et de la Prédestination contre les Pélagiens, les théologiens modernes à leur tour se soient à coup sûr écartés du seuil de la véritable théologie (et je le dis sans inculper leur foi), — mais écartés de telle sorte qu’ils paroissent ne plus comprendre ni cette foi chrétienne qu’ils gardent pourtant en leur cœur comme Catholiques, ni l’espérance, ni la concupiscence, ni la charité, ni la nature, ni la Grâce, — la Grâce à aucun degré et sous aucune forme, ni celle des Anges, ni celle des hommes, — ni avant la Chute, ni depuis, — ni la grâce suffisante, ni l’efficace, ni l’opérante, ni la coopérante, ni la prévenante, ni la subséquente, ni l’excitante, ni l’adjuvante ; ni le vice, ni la vertu ; ni la bonne œuvre, ni le péché, soit originel, soit actuel ; ni le mérite et sa récompense ; ni le prix et le supplice de la créature raisonnable, ni sa béatitude, ni sa misère ; ni le

    dant mieux entendu le véritable sens de l’hébreu dans les Écritures que les Hébreux eux-mêmes. On lit dans la préface qui est en tête des Heures de Port-Royal : « Quoique la science de la langue hébraïque soit nécessaire pour bien prendre le sens des paroles originales, cela néanmoins est fort peu de chose au prix de cette lumière qui doit être prise de l’intelligence et du fond de l’Écriture, et de son esprit inconnu à la plupart des Hébreux, qui n’ont presque tous connu que la lettre, et dans lequel saint Augustin a pénétré plus avant qu’aucun des Pères, quoique l’obscurité de la version dont il se servoit lui ait souvent donné beaucoup de peine. Et c’est de cette lumière qu’on a besoin pour pouvoir déterminer la langue hébraïque qui d’elle-même est assez suspendue … » Le docte et positif Richard Simon, qui cite ce passage (Bibliothèque critique, tome III, page 469), se rit beaucoup de cette lumière infuse en matière de traduction, et ne paraît pas disposé à croire que la méthode de charité supplée jamais à la grammaire.