Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
PORT-ROYAL.

Depuis l’Introduction à la Vie dévote de saint François de Sales, publiée au commencement du siècle, aucun livre de dévotion n’avait fait autant d’effet et n’eut plus de suites ; ce fut toutefois en un sens, on peut le dire, différent, le livre de François de Sales étant plutôt pour réconcilier les gens du monde par l’onction et l’amabilité de la religion, et celui d’Arnauld pour leur en rappeler le sévère et le terrible. Mais l’un et l’autre vinrent à point et remplirent leur effet.

    artifice seul avait pu faire passer en ses mains. On a discuté aussi sur le rôle et la part des deux dames dans cette indiscrétion. M. de La Rochefoucauld, qui n’y voyait que matière à plaisanterie, les appelait depuis ce temps-là l’une et l’autre « les fondatrices du Jansénisme, » de même qu’il baptisa plus tard madame de Longueville et mademoiselle de Vertus « les Mères de l’Église. » Ce grand homme d’esprit qui ne lisait que le français faisait dater le Jansénisme du livre de la Fréquente Communion, et les deux illustres consultantes en avaient fourni l’occasion, quoi qu’on pût dire. Je laisse les chicaneries insignifiantes : le fait constant et bien naturel, c’est que madame de Sablé et madame de Guemené s’étonnèrent un jour, dans quelque circonstance marquante, d’être en désaccord ouvert sur la règle de conduite à observer. — « Mon confesseur me le permet. — Mon directeur me le défend. » — Elles en référèrent alors de leur différend à leurs directeurs eux-mêmes, et elles n’eurent rien de plus pressé que de se communiquer les réponses ; celle du Père de Sesmaisons alla ainsi, par madame de Sablé et madame de Guemené, aux mains des Jansénistes. Arnauld y vit le prétexte d’un livre à faire, d’un livre à effet et à éclat ; il n’y résista point, et il écrivit la Fréquente Communion. Je ne veux pas faire mes amis plus parfaits ni plus saints qu’ils ne sont. — Je veux même, puisque nous commençons à parler d’Arnauld théologien, présenter un Portrait de lui, peu à son avantage, en laid, mais ressemblant, tracé de main de maître par Bourdaloue dans un sermon sur la Sévérité chrétienne ; les sermons de Bourdaloue étaient, on le sait, animés et comme égayés de portraits pour les auditeurs contemporains ; j’y distingue et j’en détache celui-ci, dans lequel la description, d’abord assez générale, se particularise peu à peu et finit par accuser, à ne pouvoir s’y méprendre, la figure d’Arnauld :
    « On est sévère, mais en même temps on porte dans le fond de l’âme une aigreur que rien ne peut adoucir, on y conserve un poison mortel, des haines implacables, des inimitiés dont on ne revient jamais ; on est sévère, mais en même temps on entretient