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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/179

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LIVRE DEUXIÈME.

Après cela, le livre d’Arnauld, à distance, reste bien moins aimable à lire, et moins de vive source que celui de l’évêque de Genève ; et d’abord il se présente comme autant dogmatique de forme que l’autre l’est peu.

Arnauld a pour méthode ordinaire, quand il réfute, de mettre en tête du chapitre la proposition de l’auteur à réfuter ; au bas il écrit réponse, et il procède à cette réponse comme à une démonstration de géométrie. Tout est clair, solide, bien distribué ; les autorités viennent

    des partis contre ceux qu’on ne se croit pas favorables, on leur suscite des affaires, on les poursuit avec chaleur, on ne leur passe rien, et tout ce qui vient de leur part, on le rend odieux par les fausses interprétations ; on est sévère, mais en même temps on ne manque pas une occasion de déchirer le prochain et de déclamer contre lui. La loi de Dieu nous défend d’attaquer même la réputation d’un particulier ; mais, par un secret que l’Évangile ne nous a point appris, on prétend, sans se départir de l’étroite morale qu’on professe, avoir droit de s’élever contre des Corps entiers, de leur imputer des intentions, des vues, des sentiments qu’ils n’ont jamais eus ; de les faire passer pour ce qu’ils ne sont point, et de ne vouloir jamais les connoître pour ce qu’ils sont ; de recueillir de toutes parts tout ce qu’il peut y avoir de mémoires scandaleux qui les déshonorent, et de les mettre sous les yeux du public avec des altérations, des explications, des exagérations qui changent tous les faits et les présentent sous d’affreuses images. (Cela rejaillissait à la fois sur Arnauld et sur Pascal, mais ce qui suit s’applique au seul Arnauld :) On est sévère, mais en même temps on est délicat sur le point d’honneur jusqu’à l’excès ; on cherche l’éclat et l’ostentation dans les plus saintes œuvres, et l’on y affecte une singularité qui distingue ; on est possédé d’une ambition qui vise à tout, et qui n’oublie rien pour y parvenir ; on est bizarre dans ses volontés, chagrin dans ses humeurs, piquant dans ses paroles, impitoyable dans ses arrêts, impérieux dans ses ordres, emporté dans ses colères, fâcheux et importun dans toute sa conduite. Ce qu’il y a de plus déplorable, c’est qu’en cela souvent on croit rendre service à Dieu et à son Église, comme si l’on étoit expressément envoyé dans ces derniers siècles pour faire revivre les premiers, pour corriger des abus imaginaires qui se sont glissés dans la direction des consciences, et pour séparer l’ivraie du bon grain. » — Si, un jour, nous entendons Arnauld s’exprimer à son tour sur le compte de Bourdaloue avec une vivacité injuste, nous ne nous en étonnerons pas.