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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/181

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LIVRE DEUXIÈME.

composition de son discours. Son ordre polémique et logique, dans les pensées et dans le style, est opposé à l’ordre naturel et insensible, autant qu’à celui de l’art véritable, et manque de vie. L’horreur de l’équivoque le jette dans les redites, l’enferme dans des compartiments sans cesse définis. On sent une volonté active qui meut une intelligence vigoureuse, mais rien d’autre ne transpire du dedans ; il n’y a, pour parler avec les anciens rhéteurs, que les tendons, les cordes et les nerfs de la pensée, jamais la couleur, jamais le suc et le sang. Nul timbre, nul souffle ému,[1] seulement une durable et impétueuse haleine qui ne se lasse pas, mais qui lasse, une sorte de véhémence dynamique à remuer toutes ces propositions, à enchaîner tous ces textes, à gouverner toute cette trame. Et lorsqu’on vient à y distinguer, dans cette trame, quelque place particulièrement brillante ou vivante, c’est à une citation des Pères qu’elle est due ; car sa propre expression, à lui, n’est jamais que celle qui résulte des lois générales de la grammaire, de la logique, et en ce sens saine, juste, excellente, mais comme impersonnelle, et ne s’imprégnant d’aucun reflet intérieur, d’aucune nuance. Tel nous semble le caractère, telle en même temps l’infériorité du grand Arnauld écrivain. Pascal, Bossuet, Bourdaloue, surent être également clairs, logiques, solides, et à la fois être eux-mêmes, vivre sensiblement dans les vérités qu’ils enseignaient et les faire vivre pour tous autrement que d’une exposition abstraite et géométrique. La vérité, si haute qu’elle soit, a besoin de se faire homme pour toucher les hommes.

Arnauld remua, ébranla, agita en son temps ; il con-

  1. Hormis dans un ou deux cas que nous indiquerons à l’occasion. Je parle de ses ouvrages proprement dits, car dans sa Correspondance il a quantité de belles paroles et qui viennent du cœur.