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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/217

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LIVRE DEUXIÈME.

petit logement à Port-Royal ; elle y passait des journées entières, ainsi que la princesse de Guemené et la marquise de Sablé, autre conquête mondaine qui se fit dans le même temps. Ce trio de grandes dames donnait assez de peine à la mère Angélique : « Il faut que je m’en aille séparer nos Dames, disait-elle quelquefois les sachant ensemble, car elles se gâtent les unes les autres. » En restant toujours amies de la maison, elles n’y changèrent pas leur nature. Nous le savons assez pour ce qui est de madame de Guemené, celle des trois qui persévéra le moins. Madame de Sablé, ingénieuse, friande et peureuse, amie de M. de La Rochefoucauld et devant un jour avoir quelque part dans les Maximes, madame de Sablé, une des patronnes actives du second Port-Royal, lors même qu’elle y eut pris son logement à demeure ne resta pas moins remplie d’agitations et de susceptibilités, de ces exigences qu’on porte dans les amitiés mondaines : elle en tourmentait souvent la bonne mère Agnès, comme l’attestent nombre de lettres manuscrites. Pas plus qu’autrefois, depuis ce qu’on appelait sa conversion, elle ne dissimulait d’extrêmes frayeurs de la mort qui allaient à la fable et au ridicule, multipliant et raffinant, du monde au cloître, ces sortes de manies incroyables, dont l’ancienne société a gardé jusqu’au bout plus d’un exemple, et qui supposent beaucoup d’esprit, de luxe et de loisir.[1] Elle était

  1. Tallemant des Réaux (tome II, p. 323) n’a rien exagéré sur elle. L’écho du cloître est exactement d’accord là-dessus avec les propos du malin. Dans une petite Consultation manuscrite du docteur de Sainte-Beuve à madame de Sablé, après des réponses en forme à ses tentations contre la foi, à des difficultés qu’elle trouvait à la prophétie de Jacob touchant le Messie, le grave casuiste lui dit : « Vous jugerez de nos conférences par vos besoins, je tacherai de prendre mon temps pour cela ; » et aussitôt comme article essentiel de précaution, il se croit obligé d’ajouter : « Je vois assez peu de malades ; je ne sors, hors la messe, que rarement ;