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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/218

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PORT-ROYAL.

d’ailleurs l’amabilité, la politesse même. Son goût joignait le solide au délicat. Les Provinciales sembleront faites pour elle. Arnauld lui envoyait en manuscrit le Discours préliminaire de la Logique, pour la divertir une demi-heure et pour la consulter.

Quoi qu’il en soit, une telle pénitente ne pouvait convenablement venir à Port-Royal que le lendemain de la mort de M. de Saint-Cyran.

Quant à la princesse Marie, qui nous apparaît pour la première fois à l’enterrement du grand directeur, elle était certainement moindre pour l’esprit que ces deux autres dames de Sablé et de Guemené, moindre surtout que sa sœur la célèbre Anne de Gonzague, glorifiée par Bossuet. Romanesque, sensible à l’éclat et facile à éblouir, elle ne put résister à l’offre de la couronne de Pologne

    quand j’aurai vu quelque malade de maladie dangereuse, je vous le ferai savoir, étant fort informé de votre humeur excessivement appréhensive. » C’était une idée fixe chez madame de Sablé que cette peur de gagner du mal par contagion ; aucun suspect n’arrivait jusqu’à elle qu’après quarantaine. Les scrupules pour le moral se mêlaient bizarrement à ces chimères de maladie, et le tout se croisait en mille sortes de variétés des plus compliquées, des plus vaporeuses. Elle avait perdu vers la fin, ou s’imaginait avoir perdu l’odorat, et en faisait des rêves affreux qui l’humiliaient. Dans une lettre d’elle à la mère Agnès (7 septembre 1669), je lis : « Ce que vous me faites l’honneur de me mander de la perte de votre odorat est bien capable de me donner de la consolation ; mais hélas ! ma très-chère Mère, je suis trop éloignée de votre vertu pour qu’elle me puisse être un exemple. Vous dites parfaitement bien que la privation que je sens peut me servir de pénitence sur le plaisir que j’ai pris aux bonnes odeurs ; j’en suis tout à fait persuadée ; ma raison et ma volonté s’y soumettent ; mais je vous avoue que mon imagination est si peinée de me voir, toute vivante, porter une espèce de mort dans une partie de moi-même, qu’en dormant il m’en prend des tressaillements qui me réveillent. Je voudrois bien savoir, quand vous aurez du loisir, si ces peines qui viennent de mon amour-propre peuvent entrer dans la pénitence… » Mais c’est assez d’échantillons pour le moment.