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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/219

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LIVRE DEUXIÈME.

qui lui fut faite en 1645, et, comme on lui demandait si elle désirait voir d’avance le portrait du roi, elle répondit naïvement qu’il n’en était pas besoin, car elle épousait sa Couronne. Ce nom de Pologne, toujours émouvant, avait quelque chose alors de singulièrement grandiose et d’inconnu, un mélange d’Asie et de Scythie. L’ambassade des Polonais, avec son faste un peu barbare, paraît représenter à madame de Motteville cette ancienne magnificence qui passa des Mèdes aux Perses, et de ceux-ci, en droite ligne apparemment, aux descendants des Sarmates. La princesse qui faisait l’objet de cette ambassade me figure assez bien elle-même, par son tour d’esprit et par ses fortunes, une héroïne comme dans le grand Cyrus, à la Scudéry. Ce fut un bel instant, dit madame de Motteville encore, et sans doute le plus agréable et le plus glorieux pour la reine Marie, que celui du mariage, lorsque dans la chapelle du Palais-Royal elle se trouva placée au-dessus du duc d’Orléans, cet infidèle prince qu’elle avait du épouser autrefois, et au-dessus même de la reine de France dont elle était sujette avant que son père fût devenu souverain et duc de Mantoue. La réalité, comme on dirait aujourd’hui, rabattit vite de ces scènes flatteuses. À peine arrivée en Pologne et montée sur ce trône si loin cherché, les désappointements pour elle commencèrent. Elle entretint de là des commerces fidèles avec ses amis d’ici, et notamment une Correspondance très suivie avec la mère Angélique, à laquelle elle écrivait quasi tous les ordinaires, et qui lui répondait avec grande force et liberté comme elle aurait fait à l’une des sœurs.[1] On a,

  1. Les lettres de la mère Angélique ont été conservées malgré elle. On en tirait copie avant de les faire partir, ou même on en envoyait des copies de Pologne. Elle finit par s’en apercevoir et s’en plaignit. La mère Agnès était du complot pour qu’on n’en laissât perdre aucune : « Il ne nous est point échappé de lettres à la reine