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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/224

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PORT-ROYAL.

Son neveu, M. de Barcos, qui lui succéda dans l’abbaye et dans le nom de Saint-Cyran, contribua sans doute à faire rejeter sur la mémoire de son oncle quelque soupçon de particularité de doctrine ; car avec toutes sortes de vertus et une vaste science, il n’écrivit presque rien qui ne soulevât des difficultés sans nombre et qui ne fît achoppement.

Nous avons pour méthode d’étudier volontiers les qualités, les tendances du maître grossies jusqu’au défaut, forcées ou affaiblies dans le disciple ; de regarder Corneille à travers Rotrou, de suivre M. de Genève jusque

    Lettres de Saint-Cyran, avait écrit à plusieurs reprises à l’illustre prélat qui la conseillait, pour avoir la permission de cette lecture. Bossuet en est un peu impatienté, on le sent ; il répond : « J’oublierois toujours, ma fille, de vous répondre sur les Lettres de M. de Saint-Cyran, si je ne commençois par là. Elles sont d’une spiritualité sèche et alambiquée ; je n’en attends aucun profit pour la personne que vous savez. Je ne les défends pas, mais je ne les ai jamais ni conseillées, ni permises. » Quel biais étroit entre ne pas défendre et ne pas permettre ! Bossuet avait ainsi, sur bien des points, de ces biais singuliers pour un aussi puissant et absolu génie. — Les Lettres de M. de Saint-Cyran commencèrent à paraître moins de deux ans après sa mort : M. d’Andilly, qui en procura la publication, les offrit à Messeigneurs les Archevêques et Évêques de France par une Épître dédicatoire, datée du 10 mars 1645. Le second volume parut en 1647 ; le premier avait déjà été réimprimé deux ou trois fois dans l’intervalle. — Un recueil de nouvelles et dernières Lettres de M. de Saint-Cyran, qui ne sont pas les moins importantes et dont j’ai fait un continuel usage, ne parut que près d’un siècle après (1744). — Au moment où les premières furent mises en lumière, elles furent beaucoup lues et on essaya même d’en introduire la lecture dans les établissements ecclésiastiques avec plus de zèle que de discrétion. M. Feydeau raconte que, dans un voyage qu’il fit à Beauvais, étant allé de bonne heure visiter le séminaire, il fut surpris d’entendre lire dès six heures du matin aux séminaristes des Lettres de M. de Saint-Cyran à des religieuses ; consulté à ce sujet, il ne put s’empêcher d’en marquer son étonnement et de dire qu’un Traité de quelque Père de l’Église, une Épître de saint Jérôme à Népotien serait plus utile à des clercs que des lettres destinées à des religieuses. Le directeur tint compte, à l’avenir, de son observation.