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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/223

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LIVRE DEUXIÈME.

rante et mieux sonnante ; eurent-ils en masse le même poids ? Pour parler sans figure, il y en eut à Port-Royal de plus célèbres depuis, de plus brillants, de plus en dehors par les résultats obtenus ; il n’y en eut aucun de plus fort, de plus essentiel que M. de Saint-Cyran. Je n’ai fait, en insistant sur lui si à fond, que le placer, par rapport à l’œuvre et aux hommes que nous étudions, dans ses proportions véritables. Et je l’ai dû faire d’autant plus que l’opinion, même de sa postérité et des siens, s’est obscurcie sur son compte ; que, tout en le proclamant grand homme, les historiens de Port-Royal ne l’ont pas assez détaché de ses successeurs ni démontré dans sa grandeur propre et spéciale qu’aucun autre n’a remplie ; qu’enfin, avec le temps, les simples lecteurs et amateurs des doctrines et des vertus jansénistes ont volontiers incliné à le considérer comme un esprit profond, mais un peu bizarre, imbu de doctrines particulières, et à lui imputer des difficultés dont on se serait bien passé sans lui. On a vu combien, certes, il n’en est rien, et on a pressenti au contraire que, si Port-Royal avait eu à être sauvé plus tard des inextricables chicanes où on l’enveloppa, ce n’aurait pu être probablement que selon sa méthode et son conseil, en le supposant vivant et présent, lui souverain, tout appliqué qu’il était à prendre les choses par le dedans et par l’ensemble.[1]

  1. Comme il n’eut rien de littéraire pour le talent, on ne trouve guère de jugements à recueillir sur lui hors du cercle théologique. Dans une lettre de madame de Sévigné (9 août 1671), on voit que M. d’Andilly avait donné à lire à cette grande liseuse le recueil des Lettres de M. de Saint-Cyran : « C’est, dit-elle, une des plus belles choses du monde ; ce sont proprement des maximes et des sentences chrétiennes, mais si bien tournées qu’on les retient par cœur comme celles de M. de La Rochefoucauld. » Bossuet en jugeait moins favorablement. La sœur Cornuau, religieuse à Jouarre, voyant ces dames de Luines, religieuses au même couvent, lire les