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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/250

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PORT-ROYAL.

mort de M. de Bazas, revint à Port-Royal avec M. de Beaupuiset deux autres jeunes gens, ou, dans les termes du bon Fontaine, avec quelques légères dépouilles qu’il remportait de ce pays. Il ne comptait plus vivre qu’en simple pénitent ; mais, loin de là, M. Singlin le voulut instituer confesseur de tous les autres, lui rendant ainsi la pareille de M. de Saint-Cyran à son propre égard et se revanchant en quelque sorte sur lui. M. Manguelen, après s’être quelque temps débattu, se trouva pris sous le saint joug. Fontaine nous raconte dans un détail naïvement animé l’installation du nouveau confesseur et la réception que lui firent les solitaires, dont quelques-uns, s’ils avaient osé, se seraient bien sentis un peu récalcitrants ; mais M. Singlin avait parlé. Cette gracieuse et affectueuse scène, que semble éclairer je ne sais quel rayon de Le Sueur, nous est due au long pour nous reposer des pénitences terribles :

«Aussitôt donc que M. Manguelen se fut soumis, M. Singlin quitta toutes ses autres affaires pour le mener avec lui à Port-Royal. Dès qu’ils y furent arrivés, M. Singlin dit à M. Le Maître, qui les alla recevoir, qu’il y avoit longtemps qu’il lui avoit témoigné qu’il lui étoit impossible d’avoir soin de toutes les personnes qui se retireroient dans ce désert, et qu’il cherchoit une personne sur qui il pût se reposer sûrement et s’en décharger ; que jusque-là il avoit eu peine à en trouver, mais qu’enfin M. Manguelen s’offroit heureusement, et que tous les solitaires pourroient avoir autant de confiance en ce Monsieur qu’en lui-même : « Ainsi je trouve assez à propos, dit M. Singlin à M. Le Maître, que vous voyiez tous vos solitaires qui sont ici, et que demain matin vous alliez tous ensemble, vous à leur tête, saluer M. Manguelen dans sa chambre, lui rendre grâces de la bonté qu’il veut bien avoir de se charger de votre conduite, et de lui promettre que vous aurez tous pour lui une déférence et une soumission dont il aura tout sujet d’être satisfait. »

«M. Le Maître ne manqua pas de faire ce que M. Singlin lui avoit dit. Il fit taire tous les ressentiments qu’il pouvoit