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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/257

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LIVRE DEUXIÈME.

croient corrects et narrent : madame de Motteville et Fontaine ont de l’imagination sans y songer, et font vivre.

Veut-il nous parler d’un jeune solitaire, son ami, qui mourut à Port-Royal vers ce temps et un peu avant M. Manguelen, Fontaine nous dira, dans ces aimables termes qu’on ne peut que transcrire :

«M. Singlin, en partant, témoigna être fort touché de la mort d’un jeune solitaire, qui venoit, depuis dix ou douze jours, de mourir dans nos bras : c’étoit M. Lindo, que tout le monde aimoit à cause de sa simplicité qui étoit admirable ; car je n’ai jamais vu personne en qui l’enfance chrétienne parût davantage. C’étoit une bonté et une ouverture de cœur à l’égard de tout le monde, qui ne se peut concevoir. Son humeur, son visage, son marcher, s’accordoient ensemble. Il n’étoit occupé, en nous parlant, qu’à admirer les ressorts et les enchaînements dont la providence de Dieu s’étoit servie pour l’attirer à lui et lui faire luire la lumière de la vérité. Je m’étends un peu en parlant de ce jeune homme de famille,[1] parce que je sentois pour lui une tendresse particulière. Un certain rapport et conformité d’humeur lioit entre nous deux une amitié particulière. Il étoit fort simple : je l’étois aussi…
M. Singlin l’envoya à M. Manguelen, qui, après l’avoir formé pendant près d’un an, le rendit à Dieu qui l’appela par une mort douce que les excessives chaleurs lui avoient causée.[2] Il fit précéder avant lui ce cher fils qui étoit le fruit de sa charité et de sa vigilance, et qu’il devoit, hélas ! suivre de bien près. Nous regardâmes cette mort comme une grande perte. Tout le monde avouoit qu’à cause de son

  1. M. Lindo était fils d’un riche marchand de Paris, de la paroisse Saint-Merry ; et en bon style de bourgeoisie et de quartier, c’était là, pour Fontaine, être un jeune homme de famille par excellence.
  2. Une mort douce : Homère disait de ces sortes de morts qu’Apollon et Diane avaient tué le malade de leurs douces flèches, οἴς ἀγανοἴς βελἔεσι. Fontaine, dans sa simplicité, et sans songer à Homère, retrouve de ces tons odysséens.