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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/274

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PORT-ROYAL.

amitiés. Surtout il recevait des visites. Par lui la solitude des Champs ne cessa plus de se rattacher assez directement à la Cour, au grand monde. On lit dans un petit mémoire écrit par M. Le Maître : « Le samedi 9 mars (1647), M. de Liancourt, premier gentilhomme de la Chambre, et M. de Chavigny Le Bouthillier, ministre d’État, vinrent à Port-Royal des Champs avec M. Singlin, sans leur Ordre, pour n’être pas reconnus, et nous témoignèrent avec sentiment et pleurs le désir qu’ils avoient de se retirer de la Cour, pour faire pénitence et se sauver. Ils offrirent mille écus à l’effet de construire un petit logement aux Granges, pour l’un d’eux, et quatre ou cinq mille écus pour enfermer de murailles les terres des Granges ; mais on refusa l’un et l’autre. Ils sortirent fort édifiés, et ils nous témoignèrent une affection de frères.» La retraite récente de M. d’Andilly était certainement pour beaucoup dans cette visite et dans ces attentions des deux personnages.[1]

Par son nouvel hôte encore, Port-Royal se trouva correspondre plus naturellement et plus de plain-pied à toute cette littérature Louis XIII et de l’hôtel Ram-

  1. M. de Liancourt réalisa ses intentions pieuses. M. de Chavigny n’en eut pas le temps, et, je le crains, ne l’aurait jamais eu. Les Mémoires d’alors sont tout pleins de ses intrigues, même après cette visite arrosée de larmes. Âme violente, il avait pourtant en lui de grandes ressources. Il mourut presque subitement en octobre 1652 : au lit de mort, il pria M. Mazure, son pasteur, curé de Saint-Paul, de lui permettre de se confesser à M. Singlin. Ce dernier accourut, l’entendit en confession par deux fois, et lui donna l’absolution ; mais la mort survint avant le viatique. M. de Chavigny, repentant in extremis, avait remis aux mains de M. Singlin et de M. Du Gué de Bagnols des effets considérables pour être restitués : j’en ai dit le chiffre ailleurs (page 20 de ce volume). Il voulait encore que M. Singlin prît trois cent mille livres en pistoles, qui étaient dans le coffre de sa chambre, ce qui eût fait en tout plus de douze cent mille livres : M. Singlin refusa de toucher à l’argent, et ne reçut que les papiers qui montaient à près d’un million. Dépositaires d’une si énorme valeur, ces Messieurs con-