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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/273

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LIVRE DEUXIÈME.

le faire décacheter et puis recacheter, afin de voir si vous le trouvez assez beau. Je pense que vous ne désapprouverez pas d’envoyer à ces sortes de personnes les paniers cachetés, ainsi que je fais toujours, afin qu’elles soient assurées que personne n’a pu y toucher. En vérité, je n’aime plus à faire des présents de fruit, particulièrement de pavies, parce que je voudrois qu’ils fussent fort beaux. Et croiriez-vous bien qu’il a fallu choisir sur plus de trente arbres et entre plus de quatre ou cinq cents pavies ce peu que j’envoie à Mademoiselle ? Cependant ceux qui ne s’y connoissent pas croyent qu’ils viennent tous ainsi.

«Comme vous m’avez mandé que vous aimez les fruits musqués, je vous envoie tout ce que j’ai d’une poire si rare et si excellente à mon gré que je voudrois fort en avoir davantage ; mais j’attendrai que vous m’en disiez votre jugement pour savoir si je l’estime trop ou trop peu.»

(Et en post-scriptum :) « J’oubliois à vous dire que vous m’obligeriez de faire savoir que, pour trouver ces pavies excellents, il les faut manger extrêmement mûrs.»

N’est-il pas vrai que, sur de telles pièces, il ne tiendrait qu’à un malin de dénoncer M. d’Andilly comme le Lucullus de Port-Royal des Champs ?[1]

Il ne faudrait pas croire non plus qu’il n’en sortît jamais. Sans parler des sorties forcées et par persécution, qui l’éloignèrent pendant des années, il s’en permettait quelquefois d’autres petites pour affaires, pour

  1. On pourrait toutefois répondre avec des exemples de moines et de solitaires. On doit à saint François de Paule la poire du bon chrétien. Le pêcher était cultivé avec soin dans le jardin de l’abbaye de Saint-Denis dès l’an 784, et Loup, abbé de Ferrière en Gâtinais au neuvième siècle, envoyait des pêches à l’abbé de Corbeil, Odon, en lui recommandant, au cas trop probable où le porteur les aurait mangées, d’en réclamer au moins les noyaux pour les planter et en acquérir avec le temps la douce jouissance : «… Et si, ut vereor, devoraverit, extorque te precibus ut vel ossa tradat… ; ut jucundissimorum persicorum sitis quandoque participes.» (Petit-Radel, Recherches sur les Bibliothèques). M. d’Andilly, à l’appui de ses pavies, ne manquait sans doute pas de ces autorités-là.