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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/311

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LIVRE DEUXIÈME.

10 septembre 1646 avait encore ravivé son désir, en lui montrant ces lieux en voie d’être assainis et embellis par les travaux de son frère et des solitaires. Elle obtint de l’archevêque, non sans peine, la permission d’y ramener une partie de ses religieuses. Ayant fait, dans le courant de l’année 1647, deux autres voyages pour avoir l’œil aux réparations, elle en revenait chaque fois plus édifiée de la piété qui y régnait : « Dieu, écrivait-elle à la reine de Pologne, y est toujours mieux servi qu’il ne l’y sera parmi nous. C’est une merveille de voir le silence, la modestie et la dévotion même des valets qui nous préparent les lieux avec une aussi grande affection que si nous étions des Anges qu’ils attendroient. » Quand la mère Angélique avait annoncé à Port-Royal de Paris la permission obtenue, c’avait été une grande émotion et même une désolation, car on pensait bien qu’elle retournerait la première aux Champs et qu’on allait la perdre. La plupart des religieuses se jetèrent à ses pieds, la priant avec larmes de les mener avec elle. La veille du départ, le Coadjuteur (Retz) se rendit à Port-Royal de Paris pour faire honneur à la Mère et lui dire adieu : « Il eut aussi la bonté, ajoute la Relation, de vouloir voir toutes les filles qui la dévoient accompagner, et de leur donner sa bénédiction. »[1] Le mercredi 13 mai 1648, la mère An-


    Saint-Cyran avait dit : « Il faut que la nécessité soit urgente pour donner droit aux Religieuses de quitter la compagnie des Anges, avec lesquels elles habitoient et louoient Dieu dans un même monastère. — Comme les Anges ne quittent jamais un lieu saint que lorsque le commandement et l’indignation de Dieu les y obligent, il faut aussi, à leur exemple, ne le quitter jamais que par un manifeste jugement de Dieu. — Les lieux les plus misérables, s’ils ne sont pas contagieux ou inhabitables, sont plus convenables à ceux qui font profession de vivre en pauvres. »

  1. On était à la veille de la Fronde, et le Coadjuteur n’était pas fâché de faire preuve d’égards tout particuliers pour une maison si liée à M. Arnauld, qui, depuis le livre de la Fréquente Communion, avait un si grand renom et semblait être le chef d’un puissant parti.