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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/315

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LIVRE DEUXIÈME.

la tourière sans quelque affaire très-pressante. La mère Agnès montrait, comme à l’ordinaire, plus d’indulgence, et je n’en voudrais pour preuve que cette jolie sommation lancée d’un ton d’agrément :

À MONSIEUR LE MAITRE, AUX GRANGES.

«Mon très-cher Neveu, je pense que vous croyez que je sois retournée à Paris, ou bien que je sois ici pour y vivre en excommuniée, ne daignant me demander depuis si longtemps. C’est pourquoi, de l’autorité de Tante et d’une vénérable vieille, je vous donne heure aujourd’hui à midi au parloir de Sainte-Madeleine, où je vous ferai des reproches de votre retirement, qui n’empêche pas que je ne sois toute à vous.»

La première guerre de la Fronde suivit de peu de mois le retour aux Champs. La mère Angélique y trouva une occasion d’exercer et d’élargir sa charité, un motif, cette fois suffisant, d’infraction à la solitude. Bien des abbesses et des religieuses des environs, ou même des dames de qualité du voisinage, qui se trouvaient moins en sûreté chez elles, vinrent lui demander asile et furent reçues à bras ouverts. Les pauvres paysans ne l’étaient pas moins ; ils déposaient jusque dans l’église leurs effets les plus précieux pour les y tenir en sûreté ; ils apportaient jusqu’à leur pain de tous les jours, qu’ils venaient quérir ensuite à mesure qu’ils en avaient besoin. Les cours étaient pleines de bétail qu’on y mettait à l’abri des pillards ; le monastère, dit la fidèle Relation, nous faisait souvenir de l’Arche de Noé.

On se prodiguait, on donnait tout ; toujours sur pied, on ne dormait plus. On fit distribuer aux pauvres gens affamés tous les paniers de fruits du dernier automne qui avait beaucoup produit ; les prémices de M. d’Andilly y passèrent. La mère Angélique répandait à travers ces tristes scènes une force et comme une joie mer-