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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/325

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LIVRE DEUXIÈME.

M. de Bessi, un M. de Beaumont ; ce dernier avait commandé la cavalerie vénitienne en Candie.[1] M. de Luines profitait en même temps de l’éloignement des religieuses pour pousser aux constructions intérieures : on bâtit deux grands dortoirs ; on disposa jusqu’à soixante et douze cellules, alors, ce semble, fort superflues, mais qui paraîtront quelque jour un nombre prédestiné. Lorsque les sœurs de Paris, en effet, seront expulsées de leur maison (1665) et que les deux Communautés n’en feront plus qu’une aux Champs, on se trouvera juste soixante et douze religieuses de chœur. Le pavé de l’église, humide et tout enfoncé par la suite des âges, avait été relevé de huit pieds. M. de Luines et M. de Bagnols, pour la dépense, subvinrent à tout, et M. de Luines présent y avait l’œil en vrai maître maçon et charpentier : ce qui faisait dire gaiement à la mère Angélique : « Nous avions ci-devant des gentilshommes pour cordonniers, à cette heure nous avons un Duc et Pair pour chasse-avant. »

On entrevoit même, à cet instant inespéré, un plan tout à fait grandiose et souriant, mais qui osait à peine se confier, que l’on recommandait tout bas à Dieu et que les événements rompirent. Il ne s’agissait de rien moins que de bâtir autour de l’abbaye douze ermitages réguliers, où se seraient retirés ceux des Messieurs qu’on y aurait crus appelés, et, à la mort de chacun, il n’y serait entré qu’un successeur éprouvé déjà. Tous au-

  1. Il ne paraît pas, quoi qu’en dise Fontaine, que M. de Pontis fût dès lors avec ces Messieurs ; il ne dut venir à Port-Royal qu’en 1653. — On cite de ce M. de Beaumont, que nous n’aurons plus guère occasion de rencontrer, un assez joli mot à M. de Barcos qu’il était allé voir en son abbaye, et à qui il voulait marquer le respect qu’on gardait pour lui à Port-Royal : « Si un oiseau de Saint-Cyran passoit par Port-Royal, tout le monde courroit aux fenêtres pour le voir. » Tous ces militaires-ermites avaient de l’esprit.