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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/326

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PORT-ROYAL

raient pu, sans sortir, aller à une chapelle où un prêtre leur aurait dit la messe. Voilà l’idéal, la Sion au complet sur la terre ; mais l’orage bien vite en fit raison.

Quoi qu’il en soit, les grands travaux entrepris et dirigés par notre bon Duc (ainsi qu’on l’appelait) avaient ceci de positif, outre le bienfait de la destination, d’en être un pour tous les gens du pays qui s’y trouvaient occupés, nourris, au nombre de près de mille, et qui autrement couraient risque de mourir de faim. La vie qu’on menait au dedans de Vaumurier, tant qu’on y resta, tenait autant que possible de celle d’une Communauté. On y était plus de cent, entassés les uns sur les autres. Tout le monde mangeait dans une salle avec le Duc même, nous dit Du Fossé ; chacun, à son tour, lisait tout haut quelque bon livre durant les repas, et les autres gardaient le silence.

On ne le gardait pas toujours si bien à d’autres moments, et il y avait, à ce qu’il paraît (un peu plus tard peut-être, et la guerre passée), de grandes discussions qui faisaient nouveauté étrange. On y causait avec chaleur

De certaine philosophie
Subtile , engageante et hardie,

comme dira La Fontaine ; on y agitait le système de Descartes et les tourbillons. Le soleil n’est-il qu’un amas de rognures ? Les bêtes sont-elles des horloges ? Il n’y avait guère de solitaire, en ce temps-là, qui ne parlât d’automate. On disséquait des chiens, sans remords, pour observer la circulation du sang, et Arnauld eût répondu et répondait, comme plus tard Malebranche donnant un grand coup de pied à sa chienne : « Eh quoi ! ne savez-vous pas bien que cela ne sent pas ? » Qu’étaient-ce que les cris en effet ? pur bruit de rouage et de tournebroche. Mais à ce propos de chiens et de tournebroche, le duc de Liancourt, un jour là présent.