Aller au contenu

Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
PORT-ROYAL.

Arnauld controversant pour la plaisanterie de M. de Saci et la corroborant, c’est deux fois trop.

Racine a fait justice de cette fausse manière, quand il a dit en sa Lettre si malicieuse à l’auteur des Imaginaires : « L’enjouement de M. Pascal a plus servi à votre parti que tout le sérieux de M. Arnauld ; mais cet enjouement n’est point du tout votre caractère : vous retombez dans les froides plaisanteries des Enluminures ; vos bons mots ne sont d’ordinaire que de basses allusions. … Retranchez-vous donc dans le sérieux, remplissez vos lettres de longues et doctes périodes, citez les Pères, jetez-vous souvent sur les injures… » Ainsi piquait le tendre Racine, du jour où il s’avisa d’être ingrat.

Les Enluminures parurent toutefois excellentes à la plupart de ces Messieurs. Au dix-huitième siècle, l’avocat Matthieu Marais, parlant de je ne sais quelle chanson augustinienne, où le dogme est rima en vingt couplets, et d’une préface qu’on y a mise en langage patois, ajoute avec admiration : « Ces Jansénistes ont de toutes sortes d’esprits parmi eux, et ce faux paysan feroit très-bien une comédie. » Si des gens d’esprit comme Marais, mais qui aimaient le gros sel et ne le distinguaient pas du fin, tant ils avaient le goût farci de procédures, sentaient ainsi sur les Sarcellades, à plus forte raison nos solitaires : ils ne devaient pas être, je l’ai dit, très-difficiles en matière plaisante, comme gens très-austères, habituellement à jeun là-dessus, et qui avaient en eux un grand fonds de divine joie.[1]

  1. On regrettera peu que j’omette les autres œuvres poétiques de M. de Saci, sa traduction en vers du poème de saint Prosper contre les Ingrats ; son poème en dix chants et en stances, contenant la tradition de l’Église sur le Saint-Sacrement. Il avait entrepris sa traduction de saint Prosper par le conseil de M. de Saint-Cyran, et y avait rencontré, disait-il plus tard, des difficultés effroyables, « jusqu’à employer vingt-quatre heures de travail pour traduire deux vers latins. » Un labeur vraiment ingrat ! C’est méritoire au