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Page:Sainte-Beuve - Port-Royal, t2, 1878.djvu/364

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PORT-ROYAL

désirer. Il avait même une peur terrible que, dans les sollicitations qu’on faisait, le grand nom de M. de Saci n’éclipsât le sien, et qu’on ne l’oubliât. Les trois derniers mois lui durèrent plus que tout, il en convient avec une naïveté qui est un des traits bien précieux de son rôle secondaire : « Il faut qu’il y ait en cela quelque chose de naturel, que je ne m’amuse point à démêler, dit-il ; mais cette épreuve m’a parfaitement bien fait comprendre combien étoit malin l’artifice du Cardinal de Richelieu, qui, pour tourmenter ceux qu’il avoit condamnés à une prison perpétuelle, comme le maréchal de Bassompierre dont nous avions alors la chambre à la Bastille, leur envoyoit de temps en temps des émissaires pour leur donner de fausses espérances, afin que, lorsqu’elles manqueroient, leur prison leur causât une douleur toute nouvelle, et que leur courte joie se changeât en un redoublement de tristesse. »

Enfin la mise en liberté fut accordée. M. de Saci avait achevé précisément la veille sa traduction de l’Ancien-Testament qui complétait celle de la Bible. Il se préparait à la fête de la Toussaint (1668) qui était le lendemain, lorsque M. de Pomponne et l’abbé Arnauld, ses cousins-germains, avec madame de Pomponne elle-même, entrèrent à dix heures du matin dans sa chambre, pour lui apporter l’ordre et l’emmener. À le voir si égal et si patient, ils voulurent l’éprouver encore et firent comme si la bonne nouvelle était retardée de quelques jours. Il n’en parut pas ému et se mit à leur parler de tout autre chose, comme dans une visite ordinaire d’amis ; jusqu’à ce que, lassés bientôt d’un si grand calme, ils lui dirent tout d’un coup la vérité. M. de Pomponne lui ayant présenté l’ordre du roi, il le lut, dit l’abbé Arnauld témoin,[1] sans changer de vi-

  1. Mémoires. Voir aussi ceux de Du Fossé, p. 317.